Exposition photographique
Les lignes de désir
Ce sont deux visions, à première vue, diamétralement opposées du voyage : dans l’une on trouve racine, dans l’autre on (se) dérobe ; dans l’une on se confond, dans l’autre on s’accapare.
C’est un voyage initiatique pour Andrea Olga Mantovani, qui retrouve en se perdant dans la forêt des Carpates, sa propre genèse, son histoire familiale, enfouie dans le paysage et dont elle déterre peu à peu la trace.
Pour Richard Pak, c’est la boulimie d’îles, découpées au gré des rivages, mélangées, collectionnées. À la manière d’un touriste frénétique, de ceux qui ont « fait » des dizaines de pays et en ramènent des souvenirs pour preuve, Richard rapporte carrément des îles trophées au risque de ne plus bien savoir de quel horizon elles proviennent.
Chacun à sa manière nous donne pourtant à voir la même chose : la trace laissée dans le paysage par celui qui le traverse et celles laissées par ceux qui ont cheminé avant nous. De ce mouvement humain incessant naissent des sentiers, des érosions mécaniques, des sillons que les géographes nomment « lignes de désir ».
Nous vous proposons ici de les emprunter, le temps du festival.
Andrea Olga Mantovani
Racines
Rencontre avec l’autrice samedi 19 avril à 12h00

L’artiste utilise la photographie autant comme un acte artistique militant que comme témoignage documentaire.
En 2020, au cours d’un reportage sur la déforestation dans les Carpates qu’elle traverse pour la première fois, c’est un paysage étrangement familier qui surgit, et avec lui une mémoire familiale jusque-là cachée.
Les récits de sa grand-mère lui apprennent l’existence d’un un arrière-grand-père ukrainien, forestier de métier, dont elle partage le prénom : André. La forêt des Carpates devient alors le théâtre de réminiscences intimes et historiques. Andrea Olga Mantovani explore cette dissociation avec un procédé photographique singulier : sur son épaule gauche, un appareil chargé de pellicules argentiques périmées – l’œil de son aïeul André – ; sur son épaule droite, un appareil capturant des nuances de violet et de rouge, reflet de son regard contemporain.
Le processus chimique altéré révèle des territoires contrariés, ceux de l’exil et des ruptures familiales. Un nouveau cycle commence, guidé par l’intuition : Racines. L’invisible et l’ imprononcé jaillissent, s’emparent d’un territoire marqué par la géopolitique, pour l’investir d’un souffle nouveau, le réinventer en paysage sensoriel et apaisé.
Richard Pak
Le Voleur d’îles
Rencontre avec l’auteur dimanche 20 avril à 12h00

« Ce travail a trouvé sa genèse dans mes recherches et lectures. Il y eu d’abord l’étymologie du mot isoler qui nous renvoie à « séparer comme une île (isola) ». Puis je découvrais que le géographe Guy Mercier, pour répondre à la difficile question de la définition de l’île, propose : « la seule manière serait d’en faire un concept limite ; réduire l’île à son degré zéro en la considérant comme un isolat total, une unité géographique complètement coupée du monde qui l’entoure ». Finalement, c’est l’historien de l’art Daniel Arasse qui me fit trouver le dispositif de cette série.
Dans Le détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture Arasse cite la fascination qu’exerçait sur un artiste flamand du XVIIème une île, simple détail dans La Chute d’Icare d’Hans Bol, avant de développer l’idée que « de la fascination, le spectateur peut passer au désir, finalement, de découper l’oeuvre ». S’en suivent des exemples de tableaux ainsi découpés, telle Les Noces mystiques de sainte Catherine (Lorenzo Lotto, 1523) victime d’un soldat amateur d’art qui « sous le charme du paysage qui apparaissait par une fenêtre, le découpa du tableau. (…) Cette pratique de la découpe jouissive a été incontestablement liée au développement d’une consommation privée des oeuvres ».
La série Le voleur d’îles revisite « cette pratique de la découpe jouissive » de la Renaissance en l’appliquant au champ de la photographie contemporaine. Je photographie des îles depuis le continent, depuis d’autres îles ou encore depuis la mer. Elles sont soit le motif principal, voire unique, des oeuvres soit un simple détail du paysage. De retour dans l’atelier je tranche à même les tirages pour les en extraire. À partir d’une photographie j’en obtiens ainsi deux : une mer amputée de son Atlantide et une île orpheline de sa mer.
A la vue de ses oeuvres ainsi profanées le spectateur peut se demander qui est donc ce collectionneur-pirate qui écume musées et galeries pour n’y dérober que des îles ? Il pourrait bien s’agir de mon double fictionnel.
Un artiste du scalpel qui souffre d’islomanie, « rare affection de l’esprit » et tropisme qu’inventa Lawrence Durrell pour qualifier ceux pour qui « les îles sont en quelque sorte irrésistibles ». La finalité de cet aigrefin est d’ailleurs de constituer pour sa « consommation privée » un archipel idéal réunissant toutes les iles subtilisées, chacune encadrée avec soin dans un écrin telle une terre précieuse. »
Richard Pak
Les oeuvres ont été réalisées lors d’une résidence de création en Normandie en 2024 pour le Festival Planches Contact (Deauville).