Pour sa première édition, c’est avec enthousiasme que le festival les Docs de Noirmoutier met à l’honneur l’adolescence au pluriel. La conjoncture actuelle renforce notre désir de raconter cette période de la vie, mise à mal par les confinements et couvre-feux à répétition. Nous voulions particulièrement rendre hommage à cet âge où l’on se construit, où les rapports sociaux se renforcent et se compliquent, où s’opère une rupture avec le foyer, où les émotions s’intensifient, où l’intimité s’éveille.
« La hâte de vieillir, le mépris d’un temps où le corps et l’âme fleurissent changeaient en héros romantique cet enfant d’un petit industriel parisien. Il tomba assis aux pieds de Vinca et continua à se lamenter :
Tant d’années encore, Vinca, pendant lesquelles je ne serai qu’à peu près homme, à peu près libre, à peu près amoureux. »
Extrait Le blé en herbe, Colette, 1923
Les mutations de ces êtres : presque adultes et encore enfants, a, à tout égard, envoûté le programme de la première édition du festival.
La programmation s’ouvre sur le travail de jeunes artistes, novices qui s’emparent de l’art pour raconter eux même la période qu’ils traversent. Alors que les Veilleurs questionnent à travers le cinéma les dysfonctionnements de leurs corps et de leur esprit, les adolescents de Rêves dansants, sur les pas de Pina Bauch expérimentent une gestuelle qui raconte peu à peu leur rapport au monde, à l’amour, à la colère, à la sensualité. Les corps muent et se meuvent pour raconter par le geste le tumulte des consciences. L’art se présente alors comme le moyen de raconter l’ineffable. A l’instar de ces adolescents, les très jeunes cinéastes de Kevin et Kévin et J’suis pas malheureuse s’emparent de leur caméra. Avec justesse et pudeur, depuis leur regard tout à fait intérieur à cette période, ils se racontent et expriment les enjeux que présentent cet âge ; la hâte de s’émanciper et son pendant inhérent : l’angoisse. S’impose alors l’étrange chorégraphie de Saute ma ville. Entre les gestes d’une enfant et celle d’une adulte, Chantal Akerman se met elle-même en scène à dix-sept ans. La métaphore de cette danse de l’angoisse, comme celle du Costume de mariage, Ce n’est qu’après, Armand 15 ans l’été, Transnistra ou Quebramar, traduit le déchirement d’un âge qui peut se révéler tragique si la magie de la mutation n’opère pas.
L’hybridité d’un âge où comme en équilibre sur un fil, les adolescents parfois basculent, happés par le monde de l’enfance ou attirés par celui des adultes se répand sur les formes filmiques. Ainsi, Fleurs de sureau, Loubia Hamra, Saute ma ville, les Cartes postales, le Costume de mariage oscillent entre le documentaire et la fiction pour explorer les formes du documentaires et les questionner. Une table ronde, au cœur du festival, questionnera les formes du documentaire de création pour accompagner l’immersion des spectateurs dans le programme de la première édition du festival les Docs de Noirmoutier.
Dans cette constellation d’œuvres, les films s’interrogent et se répondent ; qu’est-ce que le documentaire ? A quoi ressemble l’adolescence ?
Il y a l’adolescence de nos parents, celle que nous avons vécu, pour certains d’entre nous, celle que nous vivons actuellement et pour d’autres, celle qui sera vécue. Les adolescents de Kids en 2019, demandent à ceux de Tenebrae factae sunt de 1965 et de l’heure de la piscine en 1995, comment font-ils pour se rencontrer, pour aimer, pour s’émanciper, pour vivre. Avec la crise sanitaire de 2020, à nous de nous demander comment les adolescents vivent cette période charnière de leur vie. Ainsi, il s’agit de se souvenir d’œuvres du patrimoine qui ancrent les films actuels dans l’histoire du documentaire de création et explorer cette forme cinématographique à travers les gestes singuliers d’artistes contemporains.
En somme, raconter, par les images et les sons, les adolescences.
Raconter, le fil ténu, ineffable, entre l’enfance et l’âge adulte, l’âge où les rêves sont rattrapés par la réalité, où les révoltes bouillonnent en sourdine ou éclatent.
Raconter les à peu près, à peu près homme, à peu près libre, à peu près amoureux.